Le si célébré Bois d'Amour de Pont-Aven n'est pas le seul bois en France à porter ce nom, qui d'abord rend hommage à la beauté d'un lieu. Les antiques habitants du pays choisissaient d'ailleurs de tels sites privilégiés pour honorer le culte des dieux créateurs et protecteurs de la Nature : on trouve ainsi encore quelques Bois d'Isis. Émile peint ici sa sœur allongée sous les bois dans l' attitude hiératique d'une déesse. Aux esprits de l'abondance des récoltes et des moissons, on demanda aussi la fertilité des troupeaux et celle du foyer; des menhirs furent érigés en signe du désir de procréation. Les témoignages sont nombreux sur la survivance au XIXème siècle de telles traditions de danses autour des menhirs pour les femmes stériles. Par ailleurs les conditions de vie dans les chaumières bretonnes où plusieurs générations cohabitaient dans un espace réduit - une seule pièce - rendaient impossibles toutes tentatives d'isolement, les strictes traditions ne permettaient pas non plus aux jeunes de se fréquenter librement ; aussi nul doute que ce havre de tranquillité n'ait bien mérité son nom ! Ailleurs un lieu similaire ne s'appelle t'il pas le Bois de Trousse-Chemise ?

Mais le Bois d'Amour est réellement d'une rare beauté, et les témoignages sont nombreux qui vantent les charmes romantiques de cette superbe hêtraie étirée sur le coteau et surplombant l'Aven. de là on a une vue délicieuse sur les toits de Pont-Aven comme l'a représentée Bernard. Les peintres américains, les premiers venus à Pont-Aven, hantaient déjà le bois et y passaient la journée avec leur attirail. Le grand moment du Bois d'Amour vient ce jour d'automne où Gauguin donne à Sérusier cette si justement célèbre Leçon de bretagne-peinture. Les dieux ont clairement montré alors combien ils appréciaient le culte ancestral qu'on leur rend en ce lieu en métamorphosant une simple plaquette de bois peint par deux hommes en Talisman pour l'humanité entière.

L'ancienne commune de Nizon est maintenant rattachée à celle de Pont-Aven. Le centre du village a peu changé depuis l'époque où Gauguin est venu avec ses amis présenter au recteur sa désormais si célèbre Vision après le sermon. Le grand calvaire, dont Gauguin s'est inspiré pour le Christ vert accompagne toujours la vieille église de granite avec ses attachantes statues en bois polychrome. Les ruines romantiques du château de Rustéphan ont fréquemment inspiré les artistes, avant de servir malheureusement de carrière aux amateurs de pierres taillées. Émile Bernard y a placé le cadre d'un roman resté inédit La Dame de Rustéphan. Une grande figure de la langue bretonne est attachée à Nizon, puisque c'est ici que Théodore de La Villemarqué passa sa jeunesse dans la propriété de sa famille au manoir du Plessis ; c'est là qu'il apprend le breton, la seule langue alors utilisée dans la campagne cornouaillaise, alors que chez lui on parle évidemment le français ; à 18 ans, en 1833, il commence à collecter d'anciens chants traditionnels, auxquels personne sauf de très rares érudits n'a prêté attention. La parution en 1839 de ses recherches connaît un immense succès, mais bientôt éclate une violente querelle entre ceux qui considèrent Le Barzaz Breiz comme un pur chef d’œuvre et ceux qui contestent l'authenticité du contenu que l'auteur a seulement rois en forme. Pendant un siècle et demi la question va diviser l'opinion bretonne avertie jusqu'à ce qu'on retrouve en 1964 les carnets manuscrits qui ont servi à l'élaboration du recueil et rendre enfin justice à La Villemarqué.

La chapelle de Trémalo

La chapelle et ses environs (larges allées de hêtres et de chênes, fermes ou manoirs voisins) étaient bien connus des artistes, constituant un de leurs buts de promenade favoris. A l'intérieur de cet édifice gothique du XVIème siècle avec sa porte renaissance et ses murs de granit, se trouve le Christ en croix, bois polychrome du XVIIème siècle, rendu célèbre par l’œuvre de Paul Gauguin Le Christ Jaune . Ce thème banal, car souvent traité, "a été hissé au niveau du symbole par le talent de Gauguin. II extrait de son contexte monumental cette crucifixion et la plante au milieu d'un groupe de femmes en prière. Plus que les attitudes de la prière, il donne à voir l'expression, par les formes, de l'idée même de la prière, des sentiments d'une foi simple et rustique". On notera aussi les poutres ornées de sablières sculptées en bois polychrome, ainsi que la statuaire : Vierge Marie du XVème, Sainte Anne et la Vierge du XVIème Saint Comély... Cette même chapelle a été peinte par Emile Jourdan (Musée de Pont-Aven).

Madeleine au Bois d'Amour
1888 - Emile Bernard


Le Talisman - 1888
Paul Sérusier


Le Christ vert - 1889
Paul Gauguin


Le Christ Jaune - 1889
Paul Gauguin