Les origines du Nouvel An Chinois
Le nouvel an chinois est la fête du printemps précoce, à l'origine fête agricole, fête des vœux, lors de la deuxième lune après le solstice d'hiver. Le cycle astral de douze ans comprend des "maisons" aux noms bucoliques : Singe, Coq, Chien et Porc... La figurine estampée et périmée sera brûlée sur l'autel familial au profit de l'animal de l'année - le Cheval en 2002 - à partir du 12 février prochain. C'est aussi la fête du Têt pour les Vietnamiens.
Pendant une semaine de réjouissances, on visite les proches, on déclenche des feux d'artifices, les maisons sont décorées de papiers colorés, lanternes, plantes de saison. Le rouge est la couleur dominante, signe de joie. Bien avant la mondialisation, nous en recevions les échos, par la présence à Paris d'une colonie chinoise ancienne, d'abord établie dans le quartier Chalon. Terrassiers du chantier du métro, coolies invités à creuser les tranchées et à ramasser les cadavres en 1914-1918, travailleurs contractuels de l'effort de guerre, au nombre de 100 000 en 1916 et 1917, les Chinois ont constitué, dès les années 1920, une colonie importante à laquelle se sont ajoutées, aux heures sombres de leur histoire, de nombreuses populations de la région, au point de constituer aujourd'hui, en Ile-de-France, une communauté d'Extrême-Orient forte de 250 000 membres.
On fera sortir dans le 13e arrondissement un cortège de lanternes accompagné de pétards, car il faut réveiller le dragon protecteur. La télévision par satellite distribuera généreusement un show musical qui tiendra éveillé toute la nuit. La table traditionnelle et familiale, placée sous les signes du poisson (yu), ne manquera ni de riz ni de pâtes.
On attribue maintenant avec certitude l'usage des pâtes et raviolis à la dynastie Han, à la fin du IIIe siècle avant J.-C., bien avant le voyage de Marco Polo. La pression mongole déplaçant la capitale vers le Sud initia l'actuelle Chine du Sud au plaisir raffiné des pâtes qui figurent sur la table du Nouvel An. Pour comble, on introduit dans quelque ravioli une piécette d'argent afin de mêler une sorte de Fête des rois asiatique à l'année nouvelle. Les raviolis pékinois au porc du Nouvel An sont relevés d'une fine sauce spéciale de soja clair.
Le salé, le sucré, l'acide et l'amer sont les quatre saveurs de l'Occident. La Chine dans sa sagesse y adjoint le neutre, l'insipide, manière de mettre "ses passions en équilibre". C'est ainsi que l'aileron de requin, dépouillé par une première cuisson de ses parties cartilagineuses, réduit à l'état de filaments qui s'imprègnent des sucs de viande d'un bouillon sans assaisonnement, devient un chef-d'œuvre de fadeur distinguée, car, selon Lao-Tseu, "le sage savoure la non-saveur". Les ailerons de requins à la chinoise et le lièvre à la royale occidental sont les moutons à cinq pattes de la cuisine universelle ! Il en est aussi de quelques grands plats de la table des mandarins, dont le cuisinier Chen est, à Paris, le meilleur interprète : le concombre de mer ou holothurie, les abalones (ormeaux) cuits pendant toute une journée dans un bouillon de volaille, ou encore les nids d'hirondelle. A son menu du Nouvel An : pattes de canard farcies aux langoustines, langues de canard au sel et poivre, et l'admirable canard pékinois en trois services qui, depuis six ans, assure le succès de cette grande table.
L'équilibre taoïste idéal, qui régit la diététique de cette cuisine, tient en cinq parfums : la badiane, le fenouil, le poivre de Sichuan, la casse (cannelle de Chine) et la girofle moulue. Cinq saveurs comme les cinq éléments de l'univers. La cuisine idéalement épicée tend ainsi vers l'harmonie. Ce sont les ingrédients de base des préparations du cuisinier cantonnais de Charly Tang, qui excelle dans la préparation des nems farcis de veau à la sauce satay, de délicates fritures ou bien du pigeonneau laqué aux cinq parfums. Une table de fête chaque jour de l'année.
RAFFINEMENT SUPREME
Sur la table familiale du Nouvel An, la carpe est le symbole de la persévérance, de la vigueur et de la longévité. Elle évoque également le profit, et, comme il n'y a pas de petites économies, elle figure au menu de fête. La carpe domestiquée depuis la dynastie des Zhou est le plus parfait des poissons ; ne sert-il pas de monture aux dieux ? Au restaurant Mer de Chine, à Paris, la carpe est préparée à la vapeur.
Aucun de ces grands repas de Nouvel An ne se fera sans quelque suprême raffinement : fin ragoût de lèvres et estomacs de poissons, ou bien soupe de vessies natatoires, qui nécessitent une méticuleuse préparation. Au Passy Mandarin, le Têt s'organise autour d'un potage aux fleurs de laurier, d'huîtres de la prospérité, de saint-jacques aux pignons, puis d'un bar à la vapeur et d'un pigeonneau laqué, accompagnés de rouleaux de longévité, et d'un gâteau de riz gluant au lait de coco.
L'usage savant d'herbes aromatiques, la cuisson quasi instantanée de légumes ou de viandes toujours émincées, l'emploi du nuoc-mam (et non du soja) distinguent la cuisine vietnamienne, qui est l'affaire des femmes, de celle du Céleste Empire où la plupart des mets sont sautés dans de lourdes poêles (wok) que seuls les hommes peuvent manier. Kim Anh, la merveilleuse cuisinière vietnamienne, prépare déjà son repas du Têt, avec le potage et le gâteau de fête au riz gluant, et aussi les très recherchées vessies de poisson aux légumes, et encore le jambonneau aux pousses de bambou, les tripes et la poitrine de porc caramélisées. Mille recettes dont ne peuvent rendre compte les mille et un restaurants asiatiques de Paris, trop souvent médiocres. Où déguster les saveurs de Shanghaï, les finesses du Yunnan, la cuisine de Hué, les fruits tropicaux de Guilin ? Faute de mieux, on se contentera de quelques plats pittoresques qui marquent l'entrée dans l'année du cheval.

par Jean-Claude Ribaut

• ARTICLE PARU DANS LE MONDE  EDITION DU 06.02.2002
 



Retour